Le spectacle auquel j’assistai fut éblouissant, fantasque, gracieux et malheureusement éphémère.

Je me réveillai au petit matin, vaguement reposé. Dormir assis ! Quelle idée !

Autour de moi, tous les autres voyageurs dormaient encore et le train filait au travers de la grande plaine glacée. Je tentais de me replonger dans Belphégor, mais l’envie n’y était pas.

Ne me restait qu’à regarder les gens dormir.

Mon voisin d’en face, d’abord. Celui-là, je l’avais à peine vu, que déjà, je le détestai… une sorte de porc prétentieux et vulgaire, la cinquantaine, teinture, lifting et gomina. Le verbe haut, médiocre et puant…

Il n’avait eu de cesse, la veille au soir, après notre départ, de harceler la jeune femme de l’autre côté de l’allée, persuadé d’être un séducteur là où elle ne vit sans doute qu’un sombre abruti. De toute façon, elle finit par partir, sans que je ne m’en rende compte, de lassitude, sans doute.

Bien sûr, il ne comprit pas la raison de ce départ… que je me mis à regretter, car faute de femme à « séduire », il lui vint à l’idée de nous parler de lui, de sa vie, de son œuvre…

Comme si je pouvais avoir quelque chose à faire de son pognon, de ses succès, de ses affaires, de son « rendez-vous hyper-important qu’il ne pouvait  pas manquer », de sa carrière de chanteur, même qu’on acclamait son nom dans le monde entier, de son rang d’idole au Japon, au Venezuela… Nous posait quelques vagues questions… « Et vous, vous faites quoi ? Nous abreuvait de vagues réponses… « A moi, les cirques ça m’connait, j’ai des relations, vous savez, des producteurs … » puis il repartait dans sa logorrhée verbale… et les femmes qui, parait-il, se jetaient dans ses bras… bref de sa vie…

Non, vraiment, je n’en voulais rien savoir… De toute façon, personne ne se jetait jamais dans mes bras ! Cela faisait longtemps que  j’avais oublié ce que pouvait être le parfum d’une femme qu’on embrasse dans le cou… depuis longtemps plus personne ne se jetait jamais dans mes bras… plus personne ne me voyait même… montreur de puces…

Mais ce n’était pas vraiment à moi qu’il parlait, c’était à l’assemblée. Puis il finit par s’endormir. En ronflant.

Et je me demandai… mais que fait-il ici, dans ce wagon de deuxième classe, avec sa valise… c’est une grande vedette, il a un rendez-vous très important, et il prend des billets au rabais pour un omnibus… et plus je le regardais dormir, plus je comprenais que cet homme, ce moulin à parole, n’était que l’équivalent humain de mon cirque de puce… une illusion. Rien de plus.

C’est là que vint la pitié.

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