Présentation

Cadavres exquis.

Site collaboratif d’écriture de fictions, pour le plaisir, plus ou moins sur le principe des cadavres exquis, puisqu’ici on connait le texte précédent, et qu’on a, bien entendu, la possibilité d’écrire plus d’une phrase.

Il suffit de s’inscrire et d’écrire à la suite du texte publié en dernier.

Bien entendu, il faudra s’abstenir de tout langage SMS et autres « LOL » « MDR »…

A Bientôt.

Première histoire : Le cirque

I- ARMAND

« LA SALLE DES DIEUX BARBARES

– Il y a un fantôme au Louvre !

Telle était l’étrange rumeur qui, le matin du 17 mai 1925, circulait dans notre musée national.

Partout, dans les vestibules, dans les couloirs, dans les escaliers, on ne voyait que des gens qui s’abordaient, les uns effrayés, les autres incrédules, et s’empressaient de commenter l’étrange et fantastique nouvelle.

Dans la salle dite des « David », devant le célèbre tableau, le Sacre de Napoléon, deux gardiens discutaient avec animation.

Bientôt, les balayeuses et les frotteurs qui… »

Je n’allais pas plus loin dans ma lecture, trop épuisé que j’étais. Des mois que je voyageais maintenant, de villes en villes, présentant mon spectacle à des ribambelles d’enfants.

J’avais tout un cirque. Dans une valise. Et des puces pour artistes.

J’avais toute ma vie, dans une autre valise.

Les deux étaient au dessus de moi, dans le porte-bagage. Et j’essayais de m’endormir, bercé par le « tatatatoum » du train…

Bientôt, Morphée m’emportait et je quittais le sinistre wagon où les bruits assourdissants du train noyaient le peu de vie qui subsistait.
La pénombre m’entourait alors. Je flottais, me laissant transporter de ci, de là, au gré d’un vent chaud. Puis dans l’obscurité, je percevais un brouillard opaque, qui collait à ma peau, et m’enfermait dans sa douce couverture. Progressivement, des pastilles s’allument tout autour. Des dizaines de sphère scintillantes brillent, dessinant les contours de la piste aux étoiles.

Le spectacle auquel j’assistai fut éblouissant, fantasque, gracieux et malheureusement éphémère.

Je me réveillai au petit matin, vaguement reposé. Dormir assis ! Quelle idée !

Autour de moi, tous les autres voyageurs dormaient encore et le train filait au travers de la grande plaine glacée. Je tentais de me replonger dans Belphégor, mais l’envie n’y était pas.

Ne me restait qu’à regarder les gens dormir.

Mon voisin d’en face, d’abord. Celui-là, je l’avais à peine vu, que déjà, je le détestai… une sorte de porc prétentieux et vulgaire, la cinquantaine, teinture, lifting et gomina. Le verbe haut, médiocre et puant…

Il n’avait eu de cesse, la veille au soir, après notre départ, de harceler la jeune femme de l’autre côté de l’allée, persuadé d’être un séducteur là où elle ne vit sans doute qu’un sombre abruti. De toute façon, elle finit par partir, sans que je ne m’en rende compte, de lassitude, sans doute.

Bien sûr, il ne comprit pas la raison de ce départ… que je me mis à regretter, car faute de femme à « séduire », il lui vint à l’idée de nous parler de lui, de sa vie, de son œuvre…

Comme si je pouvais avoir quelque chose à faire de son pognon, de ses succès, de ses affaires, de son « rendez-vous hyper-important qu’il ne pouvait  pas manquer », de sa carrière de chanteur, même qu’on acclamait son nom dans le monde entier, de son rang d’idole au Japon, au Venezuela… Nous posait quelques vagues questions… « Et vous, vous faites quoi ? Nous abreuvait de vagues réponses… « A moi, les cirques ça m’connait, j’ai des relations, vous savez, des producteurs … » puis il repartait dans sa logorrhée verbale… et les femmes qui, parait-il, se jetaient dans ses bras… bref de sa vie…

Non, vraiment, je n’en voulais rien savoir… De toute façon, personne ne se jetait jamais dans mes bras ! Cela faisait longtemps que  j’avais oublié ce que pouvait être le parfum d’une femme qu’on embrasse dans le cou… depuis longtemps plus personne ne se jetait jamais dans mes bras… plus personne ne me voyait même… montreur de puces…

Mais ce n’était pas vraiment à moi qu’il parlait, c’était à l’assemblée. Puis il finit par s’endormir. En ronflant.

Et je me demandai… mais que fait-il ici, dans ce wagon de deuxième classe, avec sa valise… c’est une grande vedette, il a un rendez-vous très important, et il prend des billets au rabais pour un omnibus… et plus je le regardais dormir, plus je comprenais que cet homme, ce moulin à parole, n’était que l’équivalent humain de mon cirque de puce… une illusion. Rien de plus.

C’est là que vint la pitié.